samedi 18 janvier 2014

Lecture commentée : Wunderking - Nikolai Grozni

Auteur : Nikolai Grozni

Date de parution : 2011

Edition : Feux Croisés Plon

Prix : 20-25 €

Genre :  Roman ( historique, musique )

Nombre de pages : 322

Résumé :
    Sofia, Bulgarie. Dans deux ans, le mur de Berlin s'effondrera, et le rideau de fer avec lui. Mais, pour l'instant, c'est sous l'oppression du régime communiste que Konstantin, quinze ans, prodige du piano, tente de respirer. Intelligent et orgueilleux, sensible et cruel, Konstantin ajoute à la somme des paradoxes de l'adolescence les déchirements de l'artiste surdoué, balançant entre le désir brûlant d'être le meilleur et l'irrésistible tentation de l'échec et du danger. 
Ce livre résonne, souffle, chante, fracasse, virevolte et court, ralentit, s'emporte, c'est un concert, une rhapsodie. Dont on guette les variations comme autant de rebondissements. A travers cette écriture survoltée et ardente, Nikolai Grozni porte un regard vibrant sur cette période sombre, ce laminage. Et donne la mesure d'un talent époustouflant, véritablement virtuose.

Mon avis :
     Selon moi, le roman manque de régularité. En effet, nous avons affaire à un début splendide, lors de notre familiarisation avec l'écriture de l'auteur, puis, très vite, vers le milieu, lors des péripéties, c'est comme si la lumière s'éteignait. Fort heureusement, à la fin, les derniers chapitres remettent en beauté l'oeuvre. Jouxtant harmonieusement la vulgarité, la familiarité des termes, les sentiments, l'émotion, la philosophie et l'élégance du langage, l'auteur m'a paru comme lui-même un Mozart nouveau. En toute honnêteté, un excellent livre dans l'ensemble. Juste une petite remarque : si l'on n'a pas un minimum de connaissance en l'Histoire de cette époque et en la musique, on a un fort risque de passer à côté de cette oeuvre et de se laisser submerger par les malheureuses incompréhensions.

Ma note :
18,5/20

Commentaire :
     L'auteur a ici eu l'audace et le savoir d'assembler des éléments pourtant semblant opposés. Il jongle entre les émotions des personnages, comme jouant avec leurs âmes et leurs personnalités. De ce fait, le paradoxe littéraire est bel et bien là, plus que je ne l'ai jamais lu ailleurs. 

     Nous avons Konstantin, un jeune adolescent de quinze ans, inscrit au Conservatoire de Sofia pour Enfants Prodiges. Tout au long du roman, Grozni parallélise ses deux personnalités, ses deux volontés de vivre : celle d'être le meilleur, éternellement, et celle du néant, de la révolte, de la défaite et de la nullité absolue. En véritable prodige du piano, il ne s'affaire qu'à cette tâche, comme unique pour lui. Les cours ne sont rien. Les professeurs sont personnalisés de surnoms ( la Chouette, la Coccinelle, la Hyène,... ), de façon à  démontrer par l'intermédiaire d'animaux l'état d'esprit exact de chacun. Le personnage est en perpétuelle perte spirituelle. En effet, il passe de fille en fille, sans sentiments, boit, fume, ne se révolte que peu mais est révolté par le monde, la politique dans lesquels il vit. C'est là que l'auteur intégrera, dans cette expression d'obscurité de Konstantin, la vulgarité des termes, la sexualité, sans tabou, l'alcool, le tabac, la politique détestée, la critiquant sans gêne. Parallèlement, nous avons l'adolescent jouant avec passion et acharnement du piano, voulant devenir pour toujours le meilleur de tous. Il excelle en son instrument et porte un jugement extrêmement critique sur les autres musiciens, sauf quelques uns, tels que Vadim, son ami, et Irina, une violoniste surdouée qui aura une suite peu gaie. Ces deux faces amènent le lecteur à un trouble dans l'histoire.

     De plus, l'arrivée d'Iliya, un vieil homme semblant tout connaître de la ville et de son Histoire, perturbe davantage le lecteur, nous détournant ainsi du sujet principal. Par le biais de ce personnage, de manière très fluide et agréable, il faut l'admettre, Grozni a voulu faire comprendre, dans tout ce déluge d'incompréhensions, le principal du contexte de l'intrigue. C'est avec Iliya que Konstantin s’apaisera momentanément, à chaque fois qu'il le voit, absorbé par la philosophie des termes de son "oncle". Ce-dernier n'aura aucun réel avenir dans le roman. Il n'aura donc eu comme utilité que d'apporter quelques explications supplémentaires au lecteur. 

     La Coccinelle est très présente dans l'histoire. C'est le professeur de piano de Konstantin. Hélas, tout au long du roman, le brouillard sur la relation entre son élève et elle-même se fait. En effet, les quelques scènes dans lesquelles Konstantin regarde avec envie son professeur, à la limite de l’érotisme, ainsi que leurs moments de tendresse, c'est-à-dire leurs embrassades, dans les bras l'un de l'autre, avant ou après un récital, un cours, un concours, brouillent fortement l'esprit du lecteur sur leur situation commune. A la fin du récit, la Coccinelle partira se marier et vivre aux Etats-Unis, au plus grand désespoir de Konstantin, dans un premier temps, pour que son manque s'efface et ne devienne plus tard que moindre.

     D'un autre côté, nous avons les amis du protagoniste. Alexander, son ami le plus fidèle depuis longtemps, finira par le trahir, l'embarquant dans une blague idiote ( ils ont, à trois - Konstantin dans l'obligation - braqué des kalachnikovs sur des professeurs du Conservatoire, bien que les armes ne soit inutilisables ).  Ensuite, Bianka, lui semblant son amour de toujours, mais qu'il refusera enfin, conscient de sa volonté de la virginité éternelle. Vadim, le pianiste prodige pour lequel Konstantin a beaucoup d'admiration, finira viré du Conservatoire, sans que les raisons ne soient réellement détaillées.
       Irina est un cas plus complexe dans le livre. Au début, l'on n'y porte que peu d'attention. Par la suite, elle prend une place phénoménale dans la vie de Konstantin. Son nom est de plus en plus fréquent dans les pages. Elle va prendre de l'importance. Suite à s'être énervé contre la Chouette ( la directrice du Conservatoire ), la plaquant contre un mur, elle se fait exclure elle aussi de l'enceinte de l'établissement. Konstantin la cherchera alors des mois durant. Il faut que, après s'être fait exclure, à cause de cette affaire de kalachnikovs, il rencontre Vadim pour savoir où se trouve sa bien-aimée. Elle a été enfermée dans un hôpital psychiatrique par sa mère. Il va aller lui rendre visite, se faisant passer pour son demi-frère. Au début indifférente, ils vont brièvement faire l'amour dans sa chambre d'hôpital, puis elle lui demandera de l'aider à fuguer. Konstantin part chercher quelques affaire chez Irina. C'est sa grand-mère - une gitane - qui l'accueille. Pressé, il accepte tout de même, à contre-cœur, une prédiction de la vieille femme. Il fait ce qu'elle lui demande, puis elle l'accuse de ne pas avoir tout fait ( les nœuds ). Grozni appuie aisément ici sur la malédiction fatidique que porte le personnage. La gitane, énervée, tente de le mettre à la porte. Il parvient à l'éviter, et à se précipiter dans la chambre d'Irina, où il dérobe le violon, de très grande valeur, et quelques vêtements. Après avoir été forcé de laisser à terre la vieille femme - qu'il avait bousculée -, il partit sans fermer la porte. Il revint au dehors de l'hôpital, avec trente minutes de retard. En retard elle aussi, Irina se montre à l'entrée du bâtiment, mais rentre de nouveau après. Konstantin ne comprend pas. Il attend des heures, dans le froid, pour apprendre au milieu de la nuit que celle qu'il a toujours aimé et qui l'a toujours aimé s'est suicidée.

     Suite à cet événement, Konstantin se réfugiera dans les catacombes de la ville, pour y vivre deux saisons.

     L'auteur, à la fin, fait un récapitulatif des personnages les plus cités. Il raconte leur devenir, dans un procédé stylistique très moderne et innovateur.

    J'aimerai, avant de conclure, appuyer sur la manière dont Grozni décrit la musique dans son oeuvre. Etant lui-même un grand pianiste, il sait de quoi il parle. Mais il n'évoque que rarement des "touches", des "notes", des "cordes", mais plus des "couleurs", des "émotions" et "sensations". Selon lui, les morceaux de Chopin, Mozart, Beethoven, Listz, etc. ne se jouent pas, ils se vivent. Ce sont les moments les plus captivants du récit. C'est là qu'il affirme réellement son style d'écriture, pour se dissocier des autres écrivains et produire un roman propre à lui.

     Si l'on rassemble tout ceci, l'auteur est un magicien. Il passe d'un sentiment à l'autre, paradoxaux, d'un personnage à l'autre, parallèles, d'une situation à une autre, mais parvient tout de même à lier tout ceci dans un tourbillon de révolte, d'émotions, d'explosions et de larmes. S'il y a un mot pour qualifier cette oeuvre, c'est bien : virtuose !

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