dimanche 12 janvier 2014

Lecture commentée : Eldorado - Laurent Gaudé


Auteur : Laurent Gaudé

Date de parution : 2004

Edition : J'ai lu

Prix : 6-8 €

Genre : Roman ( réaliste, aventure, historique )

Nombre de pages : 220

Résumé :
     Pour fuir leur misère et rejoindre "l'Eldorado", les émigrants risquent leur vie sur des bateaux de fortune... avant d'être impitoyablement repoussés par les gardes-côtes, quand ils ne sont pas victimes de passeurs sans scrupules. Le commandant Piracci fait partie de ceux qui sillonnent les mers à la recherche de clandestins, les sauvant parfois de la noyade. Mais la mort est-elle pire que le rêve brisé ? En recueillant une jeune survivante, Salvatore laisse la compassion et l'humanité l'emporter sur ses certitudes...

Mon avis : 
     Au début de l'histoire, j'ai trouvé le roman écrit sans finesse ( sans doute car il a été lu après un Zola ). Par la suite, j'ai appris à me familiariser avec l'écriture de l'auteur. Ce que j'ai le plus apprécié dans Eldorado, c'est le fait qu'il se lise facilement, rapidement. C'est un livre à dévorer. Une fois pris dans la mélancolie de l'intrigue, il est difficile de décrocher ses yeux des lignes. J'ai beaucoup aimé, aussi, l'entremêlement, de partie en partie, entre ces deux vies qui finiront croisées. Il y a beaucoup d'idée dans ce roman, une qualité littéraire manifeste, bien que peu convaincante sur le début, et un auteur qui sait ce qu'il faut faire pour rendre le lecteur accro.

Ma note :
16/20

Commentaire : 
     Commençons par évoquer la structure, peu banale, du livre. Eldorado est divisé en treize parties, elles-mêmes divisées en, en moyenne, quatre chapitres. Dans la première partie, l'on raconte le début de l'histoire du capitaine Salvatore Piracci, puis, dans la seconde, celle de Soleiman, de nouveau Piracci, et ainsi de suite, jusqu'à la partie XIII, lorsque les deux destins se croisent enfin, après près de deux cent pages de suspens. 

     Dans la première partie, Laurent Gaudé introduit l'ouvrage, avec la situation initiale ( un capitaine, Salvatore Piracci, vivant bien, chargé dans son métier de recueillir les immigrants laissés en mer par les passeurs ignobles, lors des vagues migratoires de 2004-2005 ). Par la suite, toujours dans la même partie, il va rencontrer une femme, ou plutôt "re"rencontrer. Elle va bouleverser sa vie ( = élément déclencheur / perturbateur ). C'est une ancienne immigrante qu'il avait recueilli quelques années plus tôt. Venant d'Afrique du Nord vers Catane, elle et les autres voyageurs avaient payé très cher leur voyage ( 3000$ et 1500$ pour un jeune enfant ), pour être, au beau milieu des eaux, abandonnés par les marins. Jour après jour, les corps s'étaient éteints... Les hommes présents sur le bateau avaient décidé qu'il était mieux pour tous ( pour éviter les épidémies ) de jeter les corps inertes à l'eau. La femme du Vittoria avaient avec elle son bébé ( un nourrisson ). Le gardant perpétuellement dans ses bras, elle ne s'était pas rendue compte de son décès, causé par la soif et la faim. Ce fut un déchirement pour elle lorsque son enfant fut jeté, contre son gré, par dessus bord, se fondant dans les eaux de la Méditerranée. Depuis lors, elle s'était agrippée à la rambarde, ne la lâchant plus. C'est dans cette état que Piracci et ses hommes la trouvèrent. Plus tard dans le roman, cette femme lui demandera une arme pour pouvoir se venger. Aura-t-elle réussi ? On ne le saura jamais. Plus d'un mois après cette mystérieuse visite, Salvatore décide, sur un coup de tête, chamboulé par cet événement et agacé de tout : son travail, sa famille qui n'existe pas, sa vie tranquille, toute cette pauvreté et tristesse régnant dans le monde, notamment à travers les immigrants... de quitter sa vie définitivement. Il quitte Catane, l'Italie, son ancienne vie, pour aller il ne sait où. Il prendra une barque pour son périple. Il traversera la Méditerranée par ce seul et unique moyen de transport, se retrouvant en Afrique du Nord. Commence alors pour lui un périple long et fastidieux : l'errance éternelle. Il se retrouvera contraint à voler pour se payer le transport. A la fin, pathétique homme qu'il fait là, il s'imprègne d'essence, voulant s'immoler, mais n'a rien pour embraser le combustible. Il se sent idiot. 

     Parallèlement, nous avons l'histoire de Soleiman, débutant dans la partie II. L'auteur a moins appuyé sur son aventure à lui, les parties le concernant étant moins longues et moins décrites, aussi. C'est sans doute car son histoire est moins complexe à comprendre que celle du capitaine. Vivant en Libye depuis toujours, Soleiman et son frère projettent de tenter, coûte que coûte, la traversée vers l'Europe. Ils ont réuni l'argent et sont prêts à tout quitter, pour avoir une vie meilleure, ailleurs. Ils passent tous les deux, accompagnés d'un guide, la toute première frontière. C'est là, à cet endroit, que le frère de Soleiman lui annonce qu'il ne peut pas le suivre. Il est malade. Il ne peut pas continuer. Après des minutes de persévérance, Soleiman se résout à poursuivre seul le chemin... En dernier cadeau, son frère lui offre son collier de perles vertes, qu'il ne quittait jusque là jamais. Soleiman poursuivra son périple un petit moment, jusqu'à ce que certains passeurs les laissent, les autres voyageurs et lui, sur des terres qu'ils ne connaissent pas. C'est là qu'il rencontrera Boubakar, un boiteux, celui qui le sauvera et qu'il sauvera. A deux, se relevant de terre, ils décident de poursuivre la route, avec l'argent que Boubakar avait ingénieusement dissimulé sous sa veste, pour ne pas s'en faire dépouiller. Au fil des mois, ils passent les frontières, les villes, et s'installent, forment une "colonie". C'est cette même "colonie" qui va charger, plus tard, contre les forces armées, à la frontière entre le Maroc et l'Espagne. Cinq cent. Ils étaient cinq cent. Mais ils savaient bien que certains passeraient, d'autres non. Soleiman serait passé dans tous les cas, mais, en contre-sens avec ce qu'il avait juré plus tôt, il porte secours à son ami, coincé dans des fils barbelés. Malgré les coups, ils parvinrent tous deux à passer de l'autre côté et à être accueillis. 

     A la suite de sa tentative de suicide, Piracci rencontrera un groupe de personnes, autour d'un feu. Ils ne parlent pas italien, mais français, mais Salvatore comprend la majeure partie de ce qu'il se dit. Un jeune homme raconte la légende de Massambalo : Massambalo serait le dieu des immigrants. Il se montrerait sous différentes formes. Il est là un instant, puis ne l'est plus. Il est toujours différent. Si l'on s'approche de lui, que l'on demande " Massambalo " en lui faisant une offrande, que la réponse est positive et qu'il accepte le cadeau, c'est que c'est lui. Il portera chance pour la suite du voyage. Chaque fois qu'il est vu, il disparaît. Il ne peut être vu qu'une seule fois.  

     C'est grâce à cette légende que Gaudé va réunir les deux personnages. Ensembles au même endroit, les vont se rencontrer. Soleiman, connaissant la croyance, voit Piracci, le regard vide et lugubre. Il lui demande  " Massambalo " en lui offrant le collier de son frère. Salvatore, après long silence et répétitions successives de la question, prit par le cruel désir de ne pas décevoir Soleiman, accepte le collier. Comme le veut la légende, il doit disparaître. L'auteur joue ici sur la fatalité du destin, en éliminant le personnage de Salvatore Piracci, percuté par un camion. Comme une ultime mémoire, Gaudé fait parvenir le personnage à prononcer des dernières paroles, souhaitant beaucoup de courage aux immigrants, dans le véhicule. Et il décède, entouré des perles du collier. Soleiman, lui, poursuivra sa vie, simplement, d'après ce que l'on comprend - car l'écrivain n'a a priori pas voulu s'attarder sur l'avenir de celui-ci, le laissant ainsi en suspension... 

     Dès le début, l'auteur veut que l'on s'attende à ce que les protagonistes se rencontrent, mais l'on est intrigué de savoir comment. Pourtant des histoire totalement opposées, leurs vies se croisent. Le principal lien entre les deux est l'immigration, certes, mais une toute autre cause les lie, une chose que l'on ne soupçonne pas dès le départ : le collier. 

     Laurent Gaudé a su faire de ce livre un véritable recueil de nostalgie, de mélancolie, d'Histoire, d'aventure, de personnages, et a fait preuve de finesse pour lier les éléments les plus opposés, le tout dans une écriture révélatrice de son art, splendide et émouvante. 

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